2.1 Les politiques linguistiques : définitions, modalités, enjeux
Plusieurs définitions de la constellation conceptuelle politique / planification / aménagement linguistiques et glottopolitique circulent (ces termes n’étant pas synonymes). On observe néanmoins une tendance forte à converger vers une conceptualisation qui distingue politique et planification, voire qui les englobe dans l’aménagement. Pour Calvet (1996 : 3), la politique linguistique est la « détermination des grands choix en matière de relations entre langues et société » et sa « mise en pratique » est la planification. On trouve la même distinction chez Boyer (1996 : 23). Il semble utile de développer davantage cette distinction, car « des phénomènes sociolinguistiques très actifs peuvent être la conséquence indirecte ou détournée d'autres sphères sociopolitiques (économie, éducation, etc.) » (Blanchet, 2000 : 129) : la planification et l’action linguistiques peuvent dépendre et provenir de politiques non linguistiques (économiques, éducatives, juridiques, etc.).
Selon Robillard (1997 : 229), « pour certains auteurs, politique linguistique est synonyme d’aménagement linguistique. Il semble utile de spécialiser ce terme pour désigner la phase d’une opération d’aménagement linguistique la plus abstraite, consistant en la formulation d’objectifs ». Dès lors, aménagement devient un hyperonyme selon le schéma suivant (Robillard, 1997 : 39).
L’aménagement linguistique est une forme consciente, scientificisée et professionnalisée des interventions visant à la modification des langues en ce qui concerne leur statut et leur corpus (Robillard, 1997 : 36). C’est ce que Calvet appelle l’action in vitro (Calvet, 1997 : 179 et 1993 : 112-113), qu’il distingue, pour sa part, de l’action in vivo, c’est-à-dire d’une autre forme d’action linguistique, celles des pratiques sociales spontanées. L’ensemble des interventions, y compris donc celles in vivo plus spontanées et inconscientes et attestées depuis toujours (Calvet, 1996 : 3 ; Robillard, 1997 : 36), est désigné par Robillard sous le terme action linguistique (1997 : 20). C’est cet ensemble que vise la notion de glottopolitique (cf. infra).
En effet, d’une part, l’action et l’aménagement linguistiques (aux sens englobants de Robillard ci-dessus), autrement dit l’intervention glottopolitique (cf. infra), portent toujours sur cette caractéristique majeure et fondamentale des pratiques linguistiques qu’est leur hétérogénéité : il s’agit d’organiser, de réguler, de normativiser (au sens de prescrire et de faire appliquer des normes) soit l’hétérogénéité due à la présence sociale simultanée de ce qui est considéré comme plusieurs langues distinctes, soit l’hétérogénéité due à la présence sociale simultanée de ce qui est considéré comme des variations et des variétés d’une seule et même langue, variations souvent liées à des contacts de langues « distinctes » (cf. par exemple les variations géolinguistiques du français), ces deux types d’hétérogénéité étant fondus dans les continuums des « interlangues », « mésolectes » et autres « métissages » linguistiques. En ce sens, toute régulation sociolinguistique porte sur des « contacts de langues ». D’autre part, il s’agit d’une intervention « externe » (consciente et distanciée par rapports aux pratiques, en méta-position) en fonction de l’ « environnement » (contexte sociolinguistique au sens le plus large incluant les facteurs politiques, économiques, culturels, sociétaux…). Les pratiques linguistiques s'organisent et se réorganisent en permanence hors de la volonté et de la conscience des locuteurs, parce qu'elles fonctionnent en tant que système ouvert (cela correspond à l’action in vivo dans la terminologie de Calvet). Les locuteurs ne décident pas toujours en conscience des « structures » de la langue, des « usages » qu'ils vont en faire, et de leurs représentations sociolinguistiques. Les pratiques et représentations linguistiques apparaissent et changent de façon complexe, sans nécessairement l'intervention raisonnée des humains, par la seule pratique empirique (Blanchet, 2000 : 125). C’est cet aspect que l’approche glottopolitique propose d’intégrer dans l’analyse de la régulation de l’hétérogénéité linguistique.
Une évolution récente notable du concept est son implication dans le domaine de l’enseignement-apprentissage des langues (didactique des langues, didactique du plurilinguisme) : la notion de politique linguistique éducative a été développée au cours des années 1990 et répandue au cours des années 2000. Elle couvre non seulement les politiques d’enseignement des langues et d’usages des langues dans les systèmes éducatifs notamment étatiques et officiels, mais également l’ensemble de la problématique d’une éducation « civique » au plurilinguisme et à l’altérité linguistique (Beacco et Byram, 2003).
La plupart des spécialistes présentent les aménagements, politiques et planifications linguistiques comme intervenant soit sur le corpus, soit sur le statut (parfois sur les deux simultanément), cette distinction étant reprise à Kloss (1969) dont la terminologie anglophone propose un binôme plus expressif : corpus / statut. Dans ce cas, on considère que le corpus est constitué par le système linguistique (au sens structural : phonologie, morphologie, syntaxe) et que le statut est la « position d’une langue dans la hiérarchie sociolinguistique d’une communauté linguistique, cette position étant liée aux fonctions remplies par la langue, et à la valeur sociale relative conférée à ces fonctions » (Robillard, 1997 : 269). Cette distinction peut être reformulée en action sur la langue / action sur les langues selon la terminologie proposée par Calvet (1993 : 114-121 et 1996 : 64 et 88), qui schématise cette distinction ainsi (Calvet, 1996 : 159) :
Mais, comme le fait remarquer Robillard (1997 : 102), « il est évident que, dans la réalité, l’aménagement de l’un entraîne immanquablement des conséquences pour l’aménagement de l’autre ». On retrouve les mêmes conclusions théoriques chez Calvet, qui propose que seule une conception sociolinguistique (sociale et non structurale) de la langue soit appropriée pour les politiques linguistiques (1993 : 122). La distinction statut / corpus est, dès lors, soit progressivement abandonnée, soit reconfigurée dans un cadre théorique sociolinguistique plus cohérent, ainsi qu’a pu le faire Chaudenson dans ses travaux et sa grille d’analyse des situations francophones plurilingues, où corpus renvoie à l’ensemble des pratiques linguistiques et où statut inclut la notion devenue centrale de représentations (Chaudenson, 1991 ; Chaudenson et Rakotomalala, 2004). La distinction entre pratiques (ou corpus au sens de Chaudenson) et représentations reste néanmoins un outil commode d’analyse des situations sociolinguistiques et d’élaboration des politiques linguistiques / des aménagements linguistiques sous réserve que cette élaboration ne cloisonne pas l’un ou l’autre des axes mais en envisage la globalité. Elle est même devenue un ensemble conceptuel clé en sociolinguistique. Cette modélisation a été récemment complétée sous la forme d’un modèle ternaire plus complexe incluant les phénomènes d’institutionnalisation sociopolitique qui recouvrent « la légitimation ou la légalisation de la langue en tant que telle par des institutions sociopolitiques et leurs attributs métalinguistiques tels que textes médiatiques, juridiques, enseignement, dictionnaires, grammaires… » (Blanchet, 2005 et 2007 : 261-267). Elle a pour but, simultanément, de rendre compte de l’émergence des unités linguistiques et d’identifier les pôles clés de ce processus. De ce point de vue, les aménagements / politiques linguistiques sont considérés comme construisant les langues (dans un processus complexe d’émergence en rétroaction, Blanchet, 2007) plutôt que comme régulant des langues pré-existantes et pré-définies dans une perspective linéaire de relations causes / effets.
Parmi les modèles d’analyse et d’élaboration des politiques linguistiques, le modèle écolinguistique de Haugen (1972) développé par Calvet (1999b) sous la forme d’un modèle gravitationnel, est particulièrement pertinent. La notion d’écologie des langues est directement associée aujourd’hui à la gestion de la pluralité linguistique (Boudreau, Dubois et alii, 2002).
Les aménagements / politiques linguistiques portent donc sur des élaborations de la pluralité linguistique (diglossie, bilinguisme, plurilinguisme…), notamment sous la forme de construction de normes (le plus souvent prescriptives) et de standardisations, autant de concepts auxquels elles sont liées. Il faut toutefois noter que si, dans la majorité des cas, la mise en place de politiques linguistiques inclut la construction de normes standardisées de la ou des langue(s) sur lesquelles elles portent (notamment dans le cas de promotion de langues dites minoritaires), une politique linguistique non standardisante a été conceptualisée, développée et mise en œuvre dans les années 1980, notamment à partir du cas du corse puis du provençal : l’approche dite polynomique (Marcellesi, 2003 pour une synthèse et Blanchet, 1992 ; Bulot, 1991).
Ce concept a été élaboré par Guespin qui a proposé de « substituer au terme de politique de la langue celui de glottopolitique » (1985 : 21) pour rendre compte de tout ce qui concerne la « gestion des pratiques langagières » (1985 : 23). Partant de la conviction transversale de toute théorie sociolinguistique, ce que Marcellesi et Guespin (1986 : 9) appellent la double détermination, c’est-à-dire que « toute société humaine est langagière et toute pratique langagière est sociale », ceux-ci posent que la glottopolitique est omniprésente et donc que la notion de « glottopolitique est nécessaire pour englober tous les faits de langage où l’action de la société revêt la forme du politique »(1986 : 9). La glottopolitique couvre ainsi les aspects micro- et macro-sociolinguistiques, en ce sens elle va des actes « minuscules », au niveau des interactions quotidiennes (reprendre un enfant, prétendre parler la norme, etc.) jusqu’aux interventions les plus globales du pouvoir politique sur les langues (planification, politique et aménagement linguistiques). Ce concept permet de cette façon de prendre compte des facteurs clés que la seule analyse des politiques / aménagements linguistiques macro-sociolinguistiques n’intègre pas —ou pas suffisamment—, les pratiques et les représentations interventionnistes des acteurs sociaux « ordinaires ». Dans ce cadre théorique, la distinction agents / instances (Bulot, 2006 : 55-57) vise à rendre compte que, pour qu’une mesure glottopolitique ait une quelconque chance d’être efficace, il faut que des individus (les agents) acceptent, par loyauté institutionnelle, par opportunisme social, par conventionnalisme, etc., de la mettre en œuvre quel que soit leur rôle dans la société. Ces mêmes individus se prévalent d’entités qui leur semblent supérieures et qui transcendent leurs propres pratiques dans et par le collectif (les instances). Dans cette mesure, les valeurs familiales, le sentiment communautaire, les académies linguistiques de tous genres, les mesures d’État constituent un même ensemble glottopolitique. En d’autres termes, les instances glottopolitiques peuvent décider toutes formes d’action mais celles-ci n’ont d’efficience que dans l’acceptation – voire la soumission à ces mesures – des agents. C’est cette intégration des agents, des acteurs sociaux, dans le cadre d’analyse et d’intervention, qu’opère la théorie glottopolitique, cette insertion ne constituant pas, on l’a dit, une rupture, mais une mise en relief théorisée de phénomènes que d’autres auteurs ont pressenties, comme par exemple Calvet à travers ce qu’il appelle la « gestion in vivo » (1993 : 113) : « ces deux approches sont parfois extrêmement différentes et (…) leurs rapports peuvent parfois être conflictuels, si les choix in vitro prennent le contre-pied de la gestion in vivo ou des sentiments linguistiques des locuteurs. (…). La politique linguistique pose donc tout à la fois des problèmes de contrôle démocratique (ne pas laisser faire n’importe quoi par les ‘décideurs’) et d’interactions entre l’analyse des situations que fait le pouvoir et celle, souvent intuitive, du peuple ».
C’est dans le cadre théorique de l’analyse en terme glottopolitiques qu’a été proposée la typologie suivante (Bulot, 2004 : 63 ; 2006 : 59-61 ; Blanchet et Bulot : 2008), focalisée sur les types d’action / d’intervention :
- Les glottopolitiques dirigistes sont le fait d’un groupe social ayant le pouvoir d’exercer une coercition. Elles sont principalement caractérisées par : la grammatisation des seules variétés acceptables ; la stigmatisation sociale des variétés autres que hautes ; des mobilités sociale, professionnelle, identitaire ascendantes conditionnant l’emploi de la variété haute ; une crispation identitaire axée sur la langue pour permettre de justifier des mesures linguistiques ; et enfin hiérarchisation instituée des variétés. Pour certains de leurs aspects, les glottopolitiques algérienne, catalane, française, occitaniste en projet, turque ou québécoise, par exemple, sont dirigistes (usages prescrits et usages proscrits de certaines langues ou variétés linguistiques par la voie réglementaire, par la diffusion de normes sélectives et de stigmatisations, par nationalisme linguistique…).
- Les glottopolitiques libérales participent d’un « laisser-faire », chaque acteur social (agent ou instance) étant supposé à égalité de capacité à intervenir. De ce fait, elles sont principalement caractérisées par la présence limitée ou opacifiée de l’intervention des instances de pouvoir politique, par l’exercice peu ou pas régulé de la puissance des capitaux économiques et symboliques et donc des effets de ces forces sur le marché linguistique, ce qui revient à l’application opaque d’une glottopolitique dirigiste au service des groupes sociaux hégémoniques. Elles exploitent un âge mythique de la langue pour justifier des interdits, une conception de la compétence linguistique exclusivement centrée sur la variété haute pour (dé)valoriser les individus. Pour certains aspects, la glottopolitique française est libérale (absence de traitement ou traitement égalitaire de pratiques linguistiques fortement hiérarchisées dans la diglossie nationale, par exemple langues régionales offertes au même titre que les principales langues internationales comme 2e ou 3e langue « étrangère ou régionale » dans l’enseignement secondaire et sans politique linguistique générale d’accompagnement).
- Les glottopolitiques auto-gestionnaires sont celles d’un groupe d’acteurs sociaux concernés. Elles sont principalement caractérisées par les actions suivantes : pour circonscrire leur identité, les locuteurs dénomment leur façon de parler ; ils territorialisent une aire linguistique ; pour différencier leur variété linguistique, ils survalorisent les traits culturels ; enfin, par les discours tenus sur l’intertolérance entre les variétés de leur langue, ils lissent la hiérarchisation sociale (approche polynomique). Ce type d’action glottopolitique est plutôt présent pour des langues locales, minoritaires, dominées ou hors des grandes puissances étatiques. Parmi les exemples les plus frappants, on citera les glottopolitiques appliquées à la langue corse, à la langue provençale, à la Langue des Signes Française, à la plupart des créoles, etc.
Comme toute typologie, celle-ci propose une lisibilité généralisante et simplifiante : il est clair que les différents types d’intervention glottopolitique et leurs différentes caractéristiques peuvent se recomposer dans chaque contexte précis et associer des caractéristiques de plusieurs pôles.
2.2 Les grands types de situations didactiques
Au delà de sa diffusion dans une ou plusieurs sociétés, ou sphères de cette ou ces sociétés, par les politiques linguistiques et les comportements glottopolitiques des acteurs, une langue peut souvent faire l’objet d’une forme de diffusion spécifique par les systèmes éducatifs. Les différents critères de description de ces situations sont les suivants, pour lesquels on prend l’exemple du français[1].
- La langue est soit moyen (on dit aussi medium), soit objet d’enseignement : moyen signifie que l’enseignement de toutes ou partie des disciplines (on dit aussi matières) a lieu en français ; objet signifie que le français est, pour lui-même, une matière étudiée ; quand le français est moyen d’enseignement, il est souvent aussi objet d’étude, mais pas l’inverse. Quand la langue est moyen, c’est qu’elle a un statut important dans la société en question et/ou des usages répandus. On considère alors, d’une part, que les enfants parlent déjà tous français en arrivant à l’école, que c’est leur langue « maternelle » (terme sujet à caution) ou « première », bien que ce ne soit jamais le cas de tous les enfants d’un système éducatif (usages familiaux de langues locales ou de la migration). On a longtemps parlé à ce sujet d’enseignement du français langue maternelle (acronyme FLM) mais l’acronyme recouvre désormais plus prudemment et plus rigoureusement la notion de français langue medium. Ou bien on considère, d’autre part, que tous les enfants doivent développer des compétences élevées en français (pour diverses raisons) même s’ils n’en ont pas ou peu en arrivant à l’école et l’on est dans une stratégie pédagogique de l’immersion (voir plus bas). Le premier cas concerne surtout la francophonie dite « du nord » (Belgique, Canada francophone, France, Suisse francophone notamment), le second celle dite « du sud » (Afrique subsaharienne francophone principalement). Il y a bien sûr des situations intermédiaires.
- La langue est langue étrangère ou seconde : la notion de langue seconde est importante car elle est à la fois distincte de langue première et de langue étrangère. De ce point de vue, la langue seconde (acronyme pour le français, FLS) est une langue effectivement pratiquée à des degrés divers dans l'environnement quotidien spontané des apprenants, ce qui est le cas dans toutes sortes de situations plurilingues, comme le français au Maghreb ou l'anglais au Québec pour un francophone, le français dans les états officiellement francophones (voir plus bas), l'allemand en Suisse, le catalan en Espagne, le castillan en Californie, pour ceux dont ce n'est pas la langue première. Dans cette situation, les principales acquisitions linguistiques se font par le contact social spontané avec la langue et la fonction didactique de l’enseignement est de contribuer à organiser et développer ces acquisitions par des apprentissages systématisés.
Dans le cas où une langue est à la fois langue première de beaucoup d’élèves, donc langue moyen d’enseignement, et langue seconde d’un certain nombre, voire langue encore étrangère pour des élèves étrangers nouveaux arrivants (réfugiés, surtout dans les pays francophones « du Nord »), on parle désormais de français langue de scolarisation (acronyme FLSco). Les nouveaux arrivants y suivent alors un processus, souvent accéléré, de passage d’un enseignement de type FLE à un enseignement FLS pour en arriver à une intégration dans un enseignement en FLM, avec des zones de chevauchement.
Dans le cas où la langue (ici le français) est utilisée comme moyen alors même qu’elle constitue un objet d’apprentissage pour de nombreux apprenants (voire pour la plupart), on parle de stratégie didactique d’immersion. Le principe est d’ « immerger » l’apprenant dans la pratique linguistique, un peu comme dans une acquisition spontanée en milieu familial ou social ordinaire (qui reste le cas le plus sûr et le plus efficace pour s’approprier une langue). Il est important à ce propos de distinguer deux grands modalités d’appropriation linguistique (terme englobant) : l’acquisition (appropriation spontanée par immersion dans les pratiques en contexte social « ordinaire » c’est-à-dire non pédagogique) et l’apprentissage (appropriation didactisée par un dispositif spécifique en contexte pédagogique). Ces différentes formes d’appropriation peuvent être complémentaires et associées (c’est notamment le cas dans une didactique adaptée de langue seconde). Elles peuvent évidemment soulever des contradictions quand le pôle didactique ne prend pas en compte le contexte social, ce que cherche à éviter ce que l’on appelle la sociodidactique qui promeut une contextualisation sociodidactique (Blanchet, Moore et Rahal, 2009).
Pour de nombreuses raisons, des activités françaises sont présentes dans de nombreux pays du monde, tant sur le plan économique que politique ou culturel. La France est l’état du monde qui a le plus important réseaux d’enseignement de sa langue officielle à l’étranger et qui concerne au total environ 600 000 apprenants. Ses deux principales modalités de diffusion par l’enseignement du français dans le monde sont :
- L’enseignement principalement destiné aux enfants des expatriés français par des établissements français à l’étranger (écoles-collèges-lycées appliquant les programmes officiels de l’éducation nationale française)[2]. Mais ces établissements, nombreux (environ 250 dans 130 pays pour près de 200.000 élèves), accueillent presque toujours une proportion notable (en moyenne 50%) d’enfants d’autres expatriés francophones et de « locaux » issus de milieux plus ou moins francophones (souvent économiquement privilégiés) et/ou qui recherchent une éducation d’élite dans une grande langue internationale pour ses enfants (Saragosse, 2006).
- L’enseignement du français aux « étrangers » comme FLS ou FLE par les Centres Culturels Français (organismes officiels dépendant des ambassades, environ 150 dans 90 pays) et les Alliances Françaises (organismes locaux affiliés au réseau des Alliances Françaises dont le siège est à Paris et qui sont largement soutenus par les ambassades, plus de 1000 dans environ 140 pays pour environ 400.000 apprenants)[3]. Cet enseignement concerne principalement des adultes et permet de se présenter aux examens pour obtenir les diplômes internationaux de langue française délivrés par la France (DILF, DELF, DALF). Ce réseau est extrêmement dense et actif (Duvernois, 2004), comme en témoigne pour les Alliances Françaises la carte ci-dessous :
Dans le cas de l’enseignement du français aux adultes (y compris les jeunes adultes que sont les étudiants), on vise souvent un français sur objectifs spécifiques (acronyme FOS, Lehmann 1993), c’est-à-dire centré sur un secteur d’activité spécialisé (professionnel, scientifique, technique, etc.). On parle également de français de spécialité (Challe, 2002).
Il faut également prendre en compte le fait que, le français étant la 2e langue à fonction internationale au monde après l’anglais (voir plus bas), il est enseigné et appris dans les systèmes scolaires et universitaires de nombreux pays non francophones par la majorité des élèves ou en tout cas parmi les langues les plus souvent choisies avec l’anglais et l’espagnol. Il est même obligatoire dans de nombreux pays, depuis longtemps ou récemment (Syrie) ou jusqu’à des époques relativement récentes (Brésil), ce qui a assuré une diffusion de la langue à des degrés divers.
La diffusion actuelle du français dans le monde par l’enseignement est résumée sur la carte suivante, qui tente de regrouper des informations complexes. Si cela donne une vision synthétique des grandes tendances de la diffusion géographique actuelle du français, il faut bien garder à l’esprit que dans tous les cas des facteurs sociaux, politiques, culturels et évidemment sociolinguistiques font varier ces situations qui ont chacune leurs spécificités : ainsi le français est tendanciellement langue première des élèves en France, mais pas pour tous et en tout cas pas toujours la seule (enfants migrants, usagers de langues dites régionales, etc.), d’où par exemple la catégorisation des départements et territoires français d’outre-mer en « français langue seconde et langue principale d’enseignement » car majoritairement le français n’y est pas la première langue des apprenants. Ainsi dans les pays du Maghreb, le français est langue seconde et langue partielle d’enseignement aux côtés de l’arabe standard, mais cela varie selon les secteurs de l’enseignement (certains sont uniquement en français, d’autres uniquement en arabe) et les milieux sociaux (il y a dans les milieux socio-économiques favorisés des familles francophones dont les enfants ont le français pour langue première) ou encore bien sûr selon les pays : l’Algérie est le plus francophone, la Mauritanie est le moins francophone. Il existe donc des situations intermédiaires et plus précises difficiles à indiquer sans rendre la carte illisible.
Pour terminer, il faut insister sur le fait que l’époque où la didactique « des langues » (en l’occurrence « du français ») se centrait sur des langues isolées les unes des autres dans le cadre de politiques linguistiques éducatives consacrées elles-mêmes à chacune de ces langues, est révolue. Depuis la fin du XXe siècle, il est clair pour les chercheurs (Dabène, 1994 ; Beacco et Byram 2003 ; Zarate, Levy et Kramsh, 2008) et la plupart des instances de politiques linguistiques internationales, que c’est l’ensemble de chaque situation plurilingue qui doit être pris en compte, qu’on ne peut ni enseigner ni apprendre ni diffuser une langue en elle-même et pour elle-même, mais au contraire qu’il s’agit de diffuser et de développer des plurilinguismes (au sein desquelles certaines ressources peuvent relever de la langue française dans sa pluralité). On parle donc désormais de plus en plus de didactique du plurilinguisme et de compétences plurilingues et interculturelles (Coste, Moore et Zarate, 1998 ; Castellotti et Py, 2002). C’est notamment le concept qui est au cœur du Cadre Européen Commun de Référence pour l’Enseignement des Langues[4]), lequel est devenu en une dizaine d’année le référentiel le plus utilisé dans la plupart des pays du monde.
[2]
La distinction entre sociolinguistique et socio-langagier renvoie précisément à ne pas vouloir exclure le discours des descriptions et analyses sociolinguistiques, à ne pas réduire les analyses aux seules descriptions de la co-variance et des variations. Pour le champ de l’urbanisation – et en nous inspirant des travaux d’Elisabeth Bautier (1995) – cela signifie que sont à prendre en compte – sans exclusive des descriptions traditionnelles et au bénéfice de la complexité du terrain ainsi problématisé– un genre discursif (cadre communicationnel, rapports de place, conduites langagières, modes de textualisation, enchaînements des énoncés), une fonction dominante du discours (sa dimension praxique), un système de catégorisations utilisé par les locuteurs (des dénominations hiérarchisées et classifiantes), un système de représentations (des attitudes polarisées) et enfin un travail socio–cognitif et langagier exercé sur les objets de discours (une production située des catégories.
[3]À l’instar des langues…
[4]Une approche centrée sur la mise en mots ne nie pas les autres dimensions urbaines (Lamizet 2002 ; Mongin 2005 ; Watin 2005, entre autres) mais considère comme cruciale l’efficience sociale des praxis désignatives et dénominatives.
[5]Dans cette acception, elle est une sociolinguistique de l’urbanisation (voir supra, pour le concept). Il convient déjà de distinguer des recherches faites en ville des recherches où la culture urbaine est posée comme déterminante des pratiques langagières.
[6]« Tel qu’il [l’ensemble de recherches, T. B.] est toutefois dans ses avancées, il interpelle la politique, et dans la logique de son développement, il démasque certaines situations. » (Marcellesi 2003, 60)
[7]Je parle là de souffrance ordinaire et non de souffrance psycho-sociale qui relève d’une autre discipline. Cela dit, il importe de mettre en place une méthodologie pour son repèrage et des actions interdisciplinaires pour sa prise en charge.
[8]Que ceux-ci soient autant géographiques (par leur ancrage spatial), sociaux (par leurs usages effectifs) que symboliques (par la mise en mots de l’acception par autrui de son appartenance communautaire, nationale, groupale…).
[9]Produite en discours suite à une sollicitation directe de l’enquête ; c’est le vocabulaire qui prévaut pour dire que les attitudes sont des productions interactionnelles.
[10]Ces deux termes sont (au moins) ceux de la politique de la ville de Rennes (France) et de la communauté de communes Rennes-Métropole.