Pour terminer ce module intitulé, rappelons-le Objet, Terrains et Méthodes de la Sociolinguistique et donner, in fine, une définition étendue de la sociolinguistique, il nous semble utile (quitte à être, pour partie, répétitif) de poser les trois axes de ce qui constitue la posture scientifique de la sociolinguistique. Vouloir développer une approche sociolinguistique, c’est :
- approcher la langue d’une façon non normative dans la mesure où envisager la covariance entre structure linguistique et structure sociale ne vaut que si l’on admet la diversité des usages ; c’est aussi prendre une distance avec ses propres pratiques sociales (ou du moins celles qui dominent les discours sur telle ou telle variété) et considérer alors cette diversité sous un angle non prescriptif mais explicatif des réalités socio–langagières.
- faire de la linguistique de terrain et non pas seulement sur le terrain revient à considérer le discours[16] comme l’un des éléments du réel d’une part et d’autre part à admettre que cette réalité agit sur le chercheur comme elle est elle–même agie par la recherche engagée[17]. C’est aussi poser, la particularité du questionnement social au sein même de l’abstraction méthodologiquement nécessaire que constitue un terrain de recherche. C’est enfin privilégier l’enquête (par entretien, questionnaire, observations diverses sur les pratiques langagières) auprès des usagers de la langue dans la mesure où la connaissance par le chercheur des conditions de production d’un énoncé – à plus forte raison quand il est issu d’un questionnement social – fait partie intégrante de son intelligibilité pour l’analyse sociolinguistique.
- engager des recherches sur la minoration sociale sous toutes ses formes (y compris les plus opaques d’un point de vue idéologique) dès lors que le langage est impliqué. C’est signifier un engagement social dans la mesure où il ne saurait y avoir de recherche, de production de connaissance(s) sans penser, sans théoriser – ou faire sienne une théorie sur – la société. C’est tenter de répondre à l’interrogation fondamentale : quelles réponses, non seulement théoriques mais aussi pratiques et méthodologiques, la sociolinguistique et les sociolinguistes peuvent apporter face à l’exclusion des minorités sociales[18] ?
[16]
C’est-à-dire entre autres les faits langagiers issus d’une interaction entre un enquêteur et un enquêté ; mais aussi la mise en mots – que l’on doit considérer comme l’appropriation masquée, assumée, rejetée – du réel par un locuteur.
[17]La question même de la textualisation des données orales pour l’analyse (Maurer, 1999) est centrale à cette réflexion : transcrire est aussi rendre en discours le discours d’autrui et produire une polyphonie dont le danger est qu’elle devienne et soit surtout instrumentalisée.
[18]C’est, rappelons-le, la question quasi-définitoire posée par Bachmann C. et Simonin J. (1993). Cet aspect est aussi développé dans Bulot T., Van Hooland (1997).