3.1 Les types de normes
Marie-Louise Moreau (1997) rend compte d’un modèle à cinq types fondé sur une double conceptualisation de la langue – courante en sociolinguistique – qui est à la fois une pratique (perçue par le locuteur ou autrui comme plus au moins prescrite, contrôlée, conforme) du discours et à la fois un discours sur la pratique (une capacité à produire dans des circonstances spécifiques des attitudes langagières, des jugements évaluatifs).
On distingue ainsi cinq types de normes :
- les normes objectives (aussi appelées normes constitutives, de fonctionnement, de fréquence, normes ou règles statistiques, …) désignent les habitudes linguistiques en partage dans une communauté (quelles unités sont employées, dans quelle situation, avec quelles valeurs … ?) dont les locuteurs n’ont pas forcément conscience et, a fortiori, la capacité à mettre en mots lesdites normes. Par exemple, certains groupes de locuteurs opposent en français un passé composé à un passé surcomposé (j’ai eu mangé), d’autres disposent uniquement du premier temps.
- les normes descriptives (aussi appelées normes ou règles constatatives, objectives …) explicitent les normes objectives. Elles enregistrent les faits constatés, sans les hiérarchiser ou y associer de jugement de valeur. Ainsi, je suis tombé et je suis allé au cinéma sont considérés comme meilleurs que j’ai tombé et j’ai été au cinéma. Il importe de percevoir qu’elles ne décrivent pas exhaustivement les normes objectives ; plus encore, parce qu’elles décrivent, elles peuvent contribuer à l’illusion idéologique d’une langue homogène.
- les normes prescriptives (aussi nommées normes sélectives, règles normatives …) donnent un ensemble de normes objectives comme le modèle à suivre, comme « la » norme. Les formes valorisées se caractérisent surtout par une fréquence d’emploi plus élevée dans un groupe social déterminé (les anciens, le groupe, la classe supérieure …). C’est dans le cadre de cette norme que les monolingues sont présentés souvent comme de meilleurs témoins du bon langage que les bilingues, parce qu’ils sont supposés davantage préservés des influences extérieures des emprunts (« pureté de la langue »). Bon nombre de grammaires dites scolaires semblent ainsi décrire la langue (en fait la seule variété de langue que valorisent les pratiques évaluatives de l’école : un français scolaire écrit) quand elles ne font que la prescrire.
- les normes subjectives (ou évaluatives) concernent les attitudes et représentations linguistiques, et attachent aux formes des valeurs esthétiques affectives ou morales : élégant versus vulgaire, chaleureux versus prétentieux … Ces normes peuvent être implicites ou explicites, auquel cas elles constituent souvent des stéréotypes. Elles constituent le domaine discursif par excellence du concept dans la mesure où l’analyse sociolinguistique peut ainsi mettre à jour les représentations sociales des groupes sociaux individués par leur plus ou moins grand écart à la norme de celui ou celle qui perçoit ledit écart. Comme le fait d’être opposé à la réforme de l’orthographe du français (« Réformer l’orthographe c’est changer les dates de l’histoire de France » (Ledegen 2001)). Notons que les premières études sur les normes subjectives (attitudes évaluatives de prestige ou désapprobation) en matière d’usage linguistique concernent des situations de bilinguisme ou de diglossie (Weinreich 1933 ; Mackey 1967) : les oppositions au plan sociologique sont très visibles dans ces situations de contact de langue.
- les normes fantasmées renvoient notamment à la théorie de l’imaginaire linguistique (Houdebine 1993). Elles peuvent être individuelles ou collectives et se greffent sur les quatre types de normes vus précédemment. Marie-Louise Moreau (1997 : 222-223) la définit ainsi comme l’« ensemble abstrait et inaccessible de prescriptions et d’interdits que personne ne saurait incarner et pour lequel tout le monde est en défaut ».
Ainsi lorsque W. Labov étudie de façon conjointe la norme objective, la norme subjective et la norme prescriptive : « [il] relie la description et l’analyse objective des variantes à la situation sociale des locuteurs chez qui elles sont observées et aux critères d’évaluation (jugements métalinguistiques) de ces locuteurs. Ce dernier point, essentiel, permet d’articuler l’étude des normes objectives sur celle de la norme évaluative, fondement de la norme prescriptive, et de relier le normal au normatif » (Rey, 1972 : 14). Les résultats de son enquête lui ont ainsi permis d’affirmer que « la communauté linguistique dans son ensemble est unifiée par un ensemble normes » (Labov, 1976 : 412) concernant des traits linguistiques dépréciés ou appréciés (prestige markers).
Au bilan, une telle typologie fait valoir qu’il existe un discours social sur la norme comme pratique linguistique valorisante qui rencontre ou non, dans des interactions sociales fort diverses et pas toujours contrôlables par les locuteurs, des discours sociaux potentiellement concurrents. Une étude publiée (Bulot, 2006) sur les attitudes langagières rouennaises a ainsi montré que des locuteurs qui s’identifiaient comme issus de l’immigration, construisaient un discours, une représentation de la norme, et partant, une représentation de la forme de référence, du standard qui, pour d’autres locuteurs issus d’autres groupes sociaux, est perçue et socialement construite comme stigmatisée et stigmatisante.
Il est important de noter que l’éventuelle forme standard[9] d’une langue est ainsi une « norme » parmi d’autres. Bien que « pris communément pour la modalité première et naturelle d’une langue, [le standard] est en réalité le résultat artificiel d’un long processus interventionniste de codification ou normalisation » (Knecht, 1997 : 194). En effet, cette forme standard prend sa source dans une ou plusieurs des « normes objectives ». La forme standard d’une langue, se confondant avec la norme prescriptive – celle qui répond à la question : tel énoncé est-il correct ? – et auquel correspond l’adjectif normatif, est un étalon de correction. Sa « légitimité n’a rien d’intrinsèquement linguistique ; elle obéit aux règles d’un marché linguistique dominé par les détenteurs d’un capital symbolique » (Francard, 1997a : 160). De fait, « la légitimité/illégitimité attribuée à […] une variété linguistique est, dans certains cas, la traduction symbolique d’une stratification sociale : les groupes qui détiennent la maîtrise du capital culturel imposent leur « style » (au sens où Labov et Bourdieu entendent ce mot) comme étalon de référence pour hiérarchiser l’ensemble des productions langagières en concurrence au sein du marché linguistique » (Francard, 1997b : 201).
Enfin, Jean-Baptiste Marcellesi (1983 et 1988), considérant que toute langue est nécessairement plurinormée, montre que toutes les langues ne fonctionnent pas sur le même modèle normatif ; il décrit ainsi, à partir de l’exemple corse, les langues sans norme standard dites polynomiques qui sont des « langues dont l’unité est abstraite et résulte d’un mouvement dialectique et non de la simple ossification d’une norme unique, et dont l’existence est fondée sur la décision massive de ceux qui la parlent de lui donner un nom particulier et de la déclarer autonome des autres langues reconnues » (Marcellesi, 1983 : 314). Ailleurs l’auteur ajoute que les utilisateurs d’une langue polynomique lui « reconnaissent plusieurs modalités d’existence, toutes également tolérées sans qu’il y ait entre elles hiérarchisation ou spécialisation de fonction. Elle s’accompagne de l’intertolérance entre utilisateurs de variétés différentes sur les plans phonologiques et morphologiques ... » (Marcellesi, 1988 : 170).
3.2 Variations du français contemporain : quelques exemples
3.2.1 Variations phonologiques
La diversité du français passe par ses variations phonologiques ; c’est le cas du « e muet » dans la mesure où « les méridionaux distinguent sole /sol«/, avec un e muet prononcé, de sol /sol/, sans e muet, tandis que, chez une autre partie de la population, la consonne finale prononcée avec ou sans voyelle, ne constitue pas un choix du locuteur, qui confond sole et sol en /sol/ »[10]. On retrouve une diversité plus large encore autour des sons vocaliques nasalisés ; en effet, tous les usagers du français ne distinguent pas le même nombre de voyelles nasales : 3 voyelles (bain, banc, bon), 4 voyelles (les trois précédentes, auxquelles s’ajoute celle de brun, mais on peut aussi trouver des personnes qui en distinguent 5, ou même 6. Il a ainsi été montré que la neutralisation des phénomènes /e/ et /E/ en français de France notamment s’opère autour d’une multiplicité de réalisations : quelles distinctions faire entre les finales de chantait, chanter, chanté, etc.?
3.2.2 Variations lexicales
Les variations lexicales sont peut-être les plus évidemment perçues par les locuteurs du français car c’est, avec ce que la vulgate appelle l’accent, ce qui permet vraisemblablement à un francophone de situer l’origine géographique d’un autre francophone ; un Sénégalais qui monte à 9 heures se rend à son travail et n’a rien à voir avec les chevaux, un commerçant de Grenoble qui ploie le beurre, vous l’enveloppe, les exemples de ce type sont légion. Ainsi, on ne recense pas moins de 16 verbes pour désigner l’action de mélanger la salade. Certains termes dialectaux sont passés, par et grâce à une normalisation phonétique, pour les uns dans le français dit standard (piolet, cassoulet ...) ; pour les autres, dans ce que les locuteurs croient être le standard. Pour évoquer le cas de la Haute-Normandie (zone dite d’oïl), il ne vient nécessairement pas à l’esprit d’un Cauchois (le pays de Caux est au Nord de la Normandie) de penser que les termes louchet (une bêche), bibet (un moustique), et vésillant (fort) ne sont pas du français standard. Moins évident encore mais ajoutant à cette diversité, sont les termes normés locaux qui ont leur équivalent phonétique mais non sémantique en français : ainsi en cauchois le cas de brailler qui signifie « se vanter » et non pas « crier ».
3.2.3 Variations syntaxiques
Henriette Walter (1988 : 171) a fait état d’une enquête qu’elle a effectuée sur l’usage du surcomposé, c’est-à-dire de l’ajout d’un auxiliaire à un temps déjà composé. A côté de la construction quand il a payé existe la forme quand il a eu payé ; la répartition géographique de chacune d’elles est la suivante : « ... le surcomposé est généralement utilisé dans la partie méridionale de la France, aussi bien dans les propositions subordonnées que dans les propositions principales. La moitié nord se partage entre ceux qui ne l’emploient jamais et ceux qui ne l’admettent que dans une proposition subordonnée ». Il est évident qu’un locuteur de tel territoire reconnaîtra la différence de construction et saura la comprendre ; de même, le cas de l’emploi ou non de la double négation en français parlé semble laisser croire à une intertolérance au moins partielle : l’universitaire qui dira je sais pas pour je ne sais (voire ch’sais pas) pas sera, d’une part le premier à ne pas s’apercevoir de l’absence du négatif ne, et d’autre part ne déclenchera pas l’hilarité de ses collègues. Désormais, par l’absence très fréquente, dans le français parlé, quotidien – et même dans des situations très formelles – du négatif ne employé avec pas, plus rien et les autres, la forme perçue comme standard du type je ne sais pas côtoie celle du type je sais pas.
Les constructions interrogatives sont une autre façon d’illustrer la variation syntaxique du français ; en effet, à côté de l’énoncé standard où vas-tu ?, on dénombre au moins une demi-douzaine de construction en usage : - Tu vas où ? / - Où tu vas ? - Où est-ce que tu vas ? / - Où qu’tu vas ? / - Où c’est qu’tu vas ? / - Où qu’c’est qu’tu vas? Chacun de ces énoncés, quelle que soit la situation de communication, reste une interrogation acceptable - au moins à fort degré d’acceptabilité - car compris par une majorité d’utilisateurs.
3.3 Norme et francophonie : des liens complexes
Le concept de norme endogène est proposé par Gabriel Manessy, dont le terrain d’investigation était le français en Afrique. Le concept désigne la représentation consciente de l’usage courant admis par l’ensemble des locuteurs comme ordinaire et neutre ; norme faisant référence au bon usage (celui qui est dit et perçu comme tel), productions linguistiques des groupes prestigieux de la communauté linguistique, devenant modèle linguistique pour les membres de celle-ci, et endogène une production contingente déterminée par une situation sociolinguistique particulière, constituée par les états où, pour ce qui est de la francophonie par exemple, le nombre de francophones l’emporte sur celui des lettrés et où on entend parler français dans la rue (Côté d’Ivoire, Congo, Gabon, Burkina Faso, Cameroun).
On ne parlera de norme endogène que quand sa présence est conscientisée : c’est un état de fait en même temps qu’elle est présente dans les représentations qu’en ont ceux qui y participent ; et que l’on l’oppose à une autre norme parallèle appliquée à la même langue, mais réputée exogène. La norme endogène est différente, sur certains points que les usagers tiennent pour significatifs, de la norme exogène, externe. Cette dernière est fonctionnellement circonscrite à des domaines bien délimités (usages officiels ou « formels »), mais non pas exclue ou contestée. « Les manifestations de la norme endogène doivent […] être recherchées non pas systématiquement dans des écarts grammaticaux qui peuvent ne relever que d’un apprentissage imparfait ou plus simplement des licences qu’autorise l’oralité, mais dans la manière de mettre en œuvre une langue dont la structure grammaticale demeure pour l’essentiel intacte et qui se trouve en quelque sorte transmuée (et non point pervertie) par l’émergence de schèmes cognitifs, de techniques d’expression, de modes d’énonciation qui ne sont pas ceux dont usent habituellement les francophones « occidentaux ». » (Manessy, 1994 : 225).
On atteste l’émergence d’une norme endogène dans la plupart des cas où une entité normative, tenue pour source et archétype du parler ordinaire, coexiste avec celui-ci, et y est apparenté historiquement et structurellement : castillan et portugais ibériques en Amérique latine, anglais britannique dans les territoires anglophones, français littéraire, transmis par l’école, dans l’ensemble de la francophonie… Une telle revendication peut être « régionale » : (normes locales valorisées du français québécois, marseillais, etc.) ou « nationale » : « elle s’est produite dans nombre de colonies d’outre-mer et la langue parlée au Brésil, au Mexique ou dans les Etats-Unis d’Amérique, si elle demeure proche des anciennes métropoles, n’en a pas moins acquis sa pleine autonomie. Mais on a alors affaire, en deux points du globe, à deux normes complémentaires et pour leurs utilisateurs respectifs, toutes deux « endogènes ». On pense ainsi également aux « statalismes » (par exemple français de Suisse, de Belgique, du Québec, d’Algérie…). » (Manessy, 1997 : 224).
De la même manière, les francophones périphériques[11] ne s’identifient pas à la norme exogène, et se construisent de nouvelles normes linguistiques, des normes endogènes : « mais, dans le même temps qu'ils considèrent l'usage de France (conçu au singulier) comme équivalant à la norme, les francophones de la périphérie associent aussi des valeurs négatives à cette variété normée, lorsqu’elle est pratiquée par un des leurs, qu'ils accusent, en Belgique, de « fransquillonner », en Suisse de « raffiner », au Québec de « parler pointu » ou de « parler avec la gueule en cul de poule », au Sénégal de « faire le malin » d'être un « doseur » ou une « ciip-ciip », de renier leurs racines (Moreau 1994, 1996 ; Thiam 1998), au Burkina Faso, d'employer des « gros mots » (Prignitz 1994), etc., les termes étant toujours entendus dans un sens péjoratif. On observe un phénomène analogue, et le recours aux mêmes qualifications, s'agissant de l'anglais : les Ghanéens, les Nigérians, les Indiens et les Sri Lankais taxent ceux des leurs qui recourent à la variété standard d'affectation, de pédanterie, de mauvais goût (Kachru 1983). » (Moreau 1999).
Notons enfin que, tendanciellement, le processus d’émergence de normes endogènes s’observe en situation de post-diglossie ; il s’inscrit dans un mouvement global de pluralisation des normes linguistiques en francophonie (Klinkenberg, 2001 et 2008) : « Il est le reflet fidèle des mutations qui surviennent dans la perception et dans la représentation de l’espace francophone. On glisse doucement de la représentation d’un espace franco-centré, avec une norme centrale unifiante et transcendante, à l’idée d’un espace polycentré où chaque pays ou « région » est susceptible de construire non seulement ses normes endogènes, mais aussi son rapport à des normes qu’elle hiérarchise et, au-delà, sa propre référence. C’est ainsi que s’est imposée, notamment chez les linguistes belges, l’idée d’une pluralité de références. On n’hésite plus à parler d’un français de référence belge, ou suisse, ou autre (Francard 2000 et 2001). » (Bavoux, 2008 : 10-11)
3.4 Attitudes et représentations linguistiques - le rapport aux normes
L’étude des attitudes et représentations linguistiques est primordiale en sociolinguistique. En effet, comme le souligne Louis-Jean Calvet (2005), la langue ne peut se concevoir comme un simple « instrument de communication », car à la différence d’un simple instrument, elle se voit investie d’attitudes diverses qui guident le locuteur dans son rapport à la langue ainsi qu’à ses utilisateurs : « on peut aimer ou ne pas aimer un marteau, mais cela ne change rien à la façon dont on plante un clou, alors que les attitudes linguistiques ont des retombées sur le comportement linguistique » (2005 : 463). Ainsi, chez William Labov (1976), les attitudes occupent une place importante : elles déterminent par exemple l’indice d’insécurité linguistique des locuteurs, qui est calculé en fonction de l’écart entre la perception qu’ils se font de leur usage d’une langue et de leur « image » de cette langue perçue comme idéale (2005 : 183-200). En outre, les attitudes sont un facteur puissant dans le changement linguistique : il est vrai que la linguistique interne arrive à expliquer paradoxalement mais pertinemment nombre de changements linguistiques (lois phonétiques, …) mais la prise en compte des attitudes permet de comprendre pourquoi certaines variétés disparaissent, subsistent, s’étendent,…
Les deux notions ont été longtemps confondues mais des analyses plus récentes permettent de distinguer d’une part l’attitude linguistique « qui ressortit davantage aux théories et aux méthodes de la psychologie sociale » et d’autre part, la représentation linguistique qui « doit plus à l’étude contrastive des cultures et des identités et relèverait plutôt de concepts et de méthodes ethnologiques » (Gueunier, 1997 : 247). Pour Dominique Lafontaine (1986), il y a d’abord les représentations, l’image mentale de la langue, puis les attitudes, les jugements qui en découlent : les représentations, ces « savoirs naïfs », « ne [constituent] pas un simple reflet du comportement linguistique, mais une construction, plus ou moins autonome, plus ou moins indépendante, selon les cas, de la réalité observée » (1986 : 14). Les attitudes comportent essentiellement une valeur évaluative[12] (1986 : 19) et sont donc uniquement associées aux jugements sur les langues. « Si représentations et attitudes linguistiques ont en commun le trait épilinguistique, qui les différencient des pratiques linguistiques et des analyses métalinguistiques, elles se distinguent théoriquement par le caractère moins actif (moins orienté vers un comportement), plus discursif et plus figuratif des représentations, et, méthodologiquement, par des techniques d’enquête différentes [i.e. des interactions aussi naturelles que possible] » (Gueunier, 1997 : 247-248).
Pour distinguer les deux termes ont peut dire que relève des attitudes le fait de dire être récalcitrant devant toute forme d’anglicisme (par ex. au Québec), ou au contraire accueillir les mots étrangers ; être pour ou contre l’enseignement du créole à l’école (ex. du courrier des lecteurs) ; … et que relève des représentations les discours disant du français qu’il est une langue harmonieuse, riche, logique, … ; tandis que l’allemand est une langue rude, l’anglais une langue utile, et la langue des signes une langue pauvre et exclusivement iconique. Tel usage marqué comme vulgaire par la bourgeoisie pourra être revendiqué et considéré comme prestigieux par un groupe de locuteurs : c’est le cas du parler de Brooklyn, le langage des New-Yorkais de classe inférieure, qui est imité par des jeunes gens, originaires du Minnesota ou de Pittsburgh, « qui y voient des connotations positives » (Labov, 1997 : 28).
La sociolinguistique urbaine va par ailleurs poursuivre la conceptualisation du terme pour les situations urbaines réputées multilingues ou pour le moins construites autour des contacts de langues, et distinguer (autour des propositions initiales de Tsekos (1996)) sur les normes identitaires, les attitudes linguistiques des attitudes langagières ; dans cette acception qui permet de cerner les différents types de discours normatifs, on propose de : « réserver le terme d'attitude linguistique à toute attitude qui a pour objet la langue en tant que système, en tant que norme réelle ou imaginaire, et qui induit des comportements normatifs, prescriptifs ou non, tolérants ou puristes. (…) [et de poser le terme] d’attitudes langagières [pour] celles qui ont pour objet le langage et les usages en tant qu'éléments marqueurs d'une catégorisation du réel (Bulot et Tsekos, 1999).
C’est dans le rapport aux discours sur l’espace urbanisé que le concept de normes identitaires – comme processus de normaison[13] –est conçu comme au centre du processus de fragmentation et de polarisation des espaces dévolus aux langues en contacts, cela, dans la mesure où elles conditionnent en effet la mise en mots différenciée des territoires. Parce que la façon de parler, de dire son rapport à la langue et aux langues (langue, argot, parlure, affichage, types d’interaction…) est dite et perçue conforme ou non aux normes identitaires vécues comme en adéquation sociale avec l’espace légitime, les locuteurs se construisent et/ou s’affirment comme pouvant se l’approprier ou non et, de fait, commeinstances normatives de référence (d’après Bulot et Ledegen, 2008).
[9]
Une forme idéalisée dira Albert Valdman à propos de la langue française (1983 : 671).
[10]Walter H., 1988, Le français dans tous les sens, Robert Laffont, Paris, 384 pages.
[11]Cf. aussi l’étude de B. Pöll, Le français, langue pluricentrique ? (2005), où l’auteur interroge l'existence, pour la langue française, de plusieurs bons usages, spécifiques aux divers pays d'expression française.
[12]Elle s’inscrit ainsi dans l’approche de la psychologie sociale du langage, où le terme attitude a donc une acception plus restreinte. Dans d’autres approches, il se distingue peu de la représentation, de la norme subjective, du jugement, de l’opinion, … et « désigne tout phénomène à caractère épilinguistique qui a trait au rapport à la langue » (Lafontaine, 1997 : 57).
[13]Voir infra dans ce module.